Introduction :
Sans nous en rendre
compte, nous avons tous un angle mort dans notre vision, une tâche
noire. Cela est dû à l'absence de photorécepteurs au niveau de la
rétine à la jonction entre le nerf optique et l’œil. Cependant,
lorsque nous fermons un œil ou que nous avons les deux yeux ouverts,
nous ne le remarquons pas, il peut néanmoins être mis en évidence
grâce à des expériences. Alors comment se fait-il que nous ne
remarquons pas cette tâche noire ? Cette dernière est comblée
lorsque nous bougeons les yeux cependant, lorsqu'ils restent fixes,
c'est notre cerveau qui, utilisant les autres données visuelles
alentours, comble le vide mais sans nous représenter la réalité
sachant qu'il l'ignore. Nous possédons donc un angle mort dans notre
vision sans nous en rendre compte grâce a l'interprétation de notre
cerveau, par conséquent, nous sommes amenés à nous demander si
nous sommes séparés du monde par les représentations que nous nous
en faisons ?
Par définition, le monde
est l'ensemble de tout ce qui existe, la réalité, un as-semblage
d'atomes. Le monde serait ici la réalité des faits sans
l'interprétation de notre cerveau. De nos jours, grâce aux avancées
scientifiques, nous comprenons que ce que nous percevons, les schèmes
(schéma imaginaire) que nous avons de la réalité, les images que
nous percevons sont des interprétations à partir de notre intuition
sensible . L'intuition sensible étant la capacité à
recueillir les informations sensibles par les sens, tel que l'ouïe,
la vue... Tous ces sens font passer des informations nerveuses au
cerveau qui les traite et interprète afin de nous donner à voir ce
que nous percevons. Cependant, il faut garder à l'esprit que nos
sens sont limités (telle la vue) et ne nous donnent pas une
description telle qu'elle est de
la réalité. Ainsi, les représentations : les idées, les
schèmes que nous nous faisons du monde, d'un objet sont-ils réels ?
Notre inconscient (l’ensemble des activités cérébrales qui
échappent à notre conscience) ne nous donne-t-il pas des
informations fausses pour nous protéger ou bien par impossibilité
de retranscrire la réalité ? Si nous possédons des facultés
limitées, nos représentations sont-elles de même limitées ?
De ce fait, nous nous demanderons si les représentations que nous
nous faisons du monde, en tant que schèmes, interprétations par nos
sens ainsi que nos facultés limitées nous permettent d'être en
adéquation avec la réalité ?
Pour dépasser ce
problème, tout d'abord, nous allons nous demander s'il est possible
d'atteindre la vérité universelle, car si nous voulons être en
adéquation, ne pas être séparés du monde, il est nécessaire
d'obtenir la vérité unique à propos de la représentation du monde
qui nous entoure. Ensuite, on s'interrogera sur la manière dont nous
décryptons, percevons le monde; en effet, c'est l'interprétation et
la perception de ce dernier qui peut nous empêcher d'être en
adéquation avec la réalité. Enfin, nous nous demanderons si les
interprétations ainsi que les théories et croyances qui en
découlent sont réelles, puisque nous nous faisons des
représentations du monde qui ne sont pas nécessairement vraies .
Première partie : Est-il possible d'atteindre la vérité universelle ?
La vérité est la
qualité d'adéquation avec la réalité, c'est une affirmation
humaine en concordance avec le réel. De plus, par vérité
universelle, nous entendons une vérité absolue, toujours vraie et
qui ne dépend pas du temps. Par conséquent, il semble difficile
pour l'Homme voir impossible d'atteindre la vérité universelle car
ses connaissances (informations concernant un fait) sont limitées
par les avancées technologiques et humaines. Dans notre société,
les vérités dépendent du temps, un énoncé qualifié de « vrai »
peut s'avérer « faux » après quelques années à la
suite d'expériences. Nous pouvons prendre l'exemple du modèle de
l'atome, au V ème siècle, un premier modèle fut créé par
Démocrite et Épicure : « les atomes crochus » afin
d'expliquer la cohésion de la matière, puis, après de nombreuses
expérimentations, démonstrations et avancées scientifiques,
l'atome de Bohr a vu le jour. Dans l'exemple de l'atome, les
découvertes successives enrichissent le modèle de base qui n'était
pas faux mais on pourrait dire trop simplifié. Néanmoins, dans
d'autres cas, les hypothèses passées peuvent s’avérer erronées
et nos prédécesseurs se trouvaient ainsi dans l’erreur, comme par
exemple l'hypothèse que le soleil tourne autour de la Terre. De ce
fait, comment pourrions nous savoir si nous sommes en train de tendre
vers la vérité ou si nous nous en éloignons ?
D'après Platon,
dans son œuvre La République,
plus précisément dans l'Allégorie de la Caverne ( extrait du livre
VII), le philosophe nous montre les différentes facettes de la
vérité. Ainsi, pour les prisonniers au fond de la caverne, ce
qu'ils voient semblent être des vérités, néanmoins, elles sont
tout autres pour les personnes agitant les marionnettes au coin du
feu. Ces derniers, sont peut-être eux mêmes dans une autre caverne.
Par conséquent, Platon nous amène à réfléchir sur ce que nous
appelons vérité et nuancer. De plus, le philosophe souligne à
travers l'exemple de la personne sortant de la caverne et découvrant
la lumière et étant aveuglée, qu'il est très difficile et même
impossible d'ouvrir les yeux et donc d'affronter la vérité. Le
soleil, représentant la vérité ne peut être regardé en face et
par conséquent, le philosophe montre que nous pouvons tendre vers la
vérité mais sans jamais l'atteindre. De même, pour sortir de la
caverne et donc de l'ignorance, de l’erreur, il est nécessaire
d'avoir l'aide d'une autre personne car, à cause de l'accoutumance,
cela est impossible à faire seul. De ce fait, pour Platon, la vérité
est unique, et nous ne pouvons que tendre vers cette dernière étant
donné que la limite de la connaissance est la vérité (autrement
dit, la vérité est inatteignable mais l'on peut s'en rapprocher).
De plus, si notre société est en erreur, nous ne pourrions en
sortir nous-mêmes mais attendre la venue d'autres générations qui
nous aiderait à nous en sortir.
Il semble donc
impossible d'accéder à la vérité universelle, absolue car nous
som-mes constamment influencés par des phénomènes extérieurs. De
plus, même si nous sortons d'une « caverne », il est
probable que nous restions dans une autre. De même, nous sommes
aussi aveuglés par le manque d'avancées scientifiques, ainsi,
peut-être que dans quelques années, nous en apprendrons plus sur
les représentations que nous nous faisons du monde qui nous entoure
et comment il est réellement. Pour Platon, la vérité est unique et
nous pouvons tendre vers elle, néanmoins, encore faut-il que nous
allions dans le bon sens. Malgré le fait que nous ne puissions pas
atteindre la vérité, nous avons la possibilité de nous en
rapprocher, par conséquent, les méthodes par lesquelles nous
percevons, interprétons et décryptons le monde sont primordiales.
Nous éloignent-elles de la réalité ? Ou au contraire nous
permettent-elles de tendre vers cette dernière ? C'est pourquoi
nous nous demanderons comment nous percevons et décryptons le monde
qui nous entoure.
Deuxième partie : Comment décryptons, percevons nous le monde qui nous entoure ?
Notre
environnement étant composé d'un ensemble d'atomes, et notre
cerveau ainsi que nos facultés mentales (raison, entendement) et
notre intuition sensible (capacité à recueillir les informations
sensibles : les sens) étant limités , nous ne pouvons pas
reproduire la réalité telle qu'elle se présente à nous. De ce
fait, lorsque nous percevons le monde, c'est-à-dire lorsque nous
décryptons le monde par nos sens et par nos facultés
intellectuelles, nous faisons des représentations à partir de notre
imagination. Notre imagination crée des schèmes grâce à deux
principes purs à priori (présents avant l'expérience) :
l'entendement, qui est la capacité à catégoriser et conceptualiser
les objets de la réalité ainsi que l'intuition sensible. De ce
fait, nous sommes amenés à percevoir le monde grâce à nos
facultés (aptitudes,dispositions
qui doivent être développées avec l'expérience)
et qui, étant limitées, nous donnent une vision incomplète voir
faussée de la réalité et du monde. Nous pouvons prendre l'exemple
des Daltoniens : à cause d'un problème génétique influençant les
cônes (permettant la vision des couleurs), leur vision et donc leur
intuition sensible est limitée, et cela entraîne une déformation
des représentations de la réalité. Néanmoins, ces représentations
sont peut-être plus proches de la vérité que notre vision (qui est
elle même limitée, ainsi nous ne pouvons pas voir les rayons
ultra-violets ni infrarouges). De plus, nous percevons le monde comme
quelque chose d'extérieur à nous, cela est l'aperception
transcendantale, elle fait la distinction entre soi et soi-même (qui
n'est qu'illusoire) et nous savons que nous sommes l'auteur de chaque
image et cela est dû à une interprétation du monde.
Pour éclairer le
problème de la perception de notre environnement, nous allons nous
aider du livre : Critique de la raison pure
de Kant. Dans cet ouvrage, le philosophe nous montre que pour établir
des connaissances, l'expérimentation est cruciale et que la
possibilité de faire des expériences, induit que nous avons des
facultés intellectuelles ainsi que des impressions sensibles. Ces
derniers permettent la perception du monde qui nous entoure
nécessaire à la réalisation d'expériences, ce sont des principes
purs à priori et ils définissent les limites de notre entendement.
De même, ces représentations que nous faisons de la réalité sont
subjectives (qui dépendent de nous) et ce sont nos facultés
intellectuelles : raison et entendement qui comparent, lient et
séparent les représentations que nous établissons.
Par conséquent, les
connaissances (établies grâce à l'alliance de l'intuition
sensible, des concepts ainsi que de l'expérience) du monde qui nous
entoure dépendent de la perception que nous avons de ce dernier. C
'est grâce à nos facultés intellectuelles (raison et entendement)
ainsi qu'à notre intuition sensible que nous parvenons à percevoir
et à comprendre notre environnement. De plus, l'aperception
transcendantale, nous fait apparaître le monde comme extérieur à
nous, nous nous en distinguons : dans chaque pensée je
m'aperçois, je me distingue (le « cogito » chez
Descartes) et nous savons que ce que nous percevons dépend de nous.
Cependant, nos sens et nos facultés mentales sont bornées, limitées
et les représentations du monde que nous nous faisons devraient donc
être déficientes. Ainsi, nos interprétations et toutes les
théories scientifiques sont inexactes du fait que nos sens ne nous
permettent pas de voir la réalité telle quelle. Par conséquent,
nous allons nous demander si les interprétations du monde et les
théories, croyances qui en découlent sont en adéquation avec la
réalité ?
Troisième partie: Les interprétations ainsi qui les théories et croyances qui en découlent sont-elles réelles ?
Les interprétations,
c'est-à-dire le sens, la traduction que nous faisons du monde grâce
à nos facultés ainsi que nos sens peuvent nous amener à des
théories (idéals,
connaissances
spéculatives indépendantes des applications) ou à des croyances (
fait de croire en quelque chose, en une thèse). Un exemple connu de
mauvaise interprétation : lorsque l'opinion, la majorité des
personnes pensaient que la Terre était plate. Cette croyance, ancrée
depuis des siècles voire des millénaires dans les mentalités valut
la mort à de nombreux visionnaires alors que nous étions en tort du
fait du manque d'avancées scientifiques et de la limite de nos sens.
Nous ne pouvons donc pas être sûrs que toutes les interprétations
que nous nous faisons du monde ainsi que toutes nos théories et
croyances sont réelles car nous ne cessons de faire des découvertes
et ce qui est vrai aujourd'hui peut s'avérer faux demain.
Dans La
formation de l'esprit scientifique,
Bachelard souligne tout d'abord que nous ne pouvons pas faire lumière
entièrement sur le réel, il restera toujours des zones d'ombre,
nous ne serons jamais en adéquation totale avec le réel. Cependant,
nous pouvons nous en rapprocher, pour cela il faut de la méthode :
nous ne pouvons adhérer en l'opinion qui a en droit toujours tort
car elle part d'idées reçues et ne les remet pas en question bien
qu'elle puisse avoir raison en fait. Pour obtenir des théories, des
connaissances réelles, il faut exercer son esprit scientifique, ne
pas avoir d'opinions sur des questions et de même revenir sur les
erreurs passées. « Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout
est construit » ( Bachelard), cette citation montre que nous
devons lutter contre l'envie et l'habitude de donner des opinions,
avis sans investigations, bien que tout le monde puisse détenir la
vérité, il faut distinguer avoir raison en droit et avoir raison en
fait. La vérité, la connaissance du réel se construit afin de
lever le voile sur un passé d'erreurs, bien que nous ne puissions
pas faire lumière sur la totalité. Pour prouver la véracité de
nos interprétations, cela nécessite une démonstration scientifique
et non pas une seule intuition ou un seul suivi des croyances et
théories de l'opinion.
De ce fait, les
interprétations du monde ainsi que les théories et croyances qui en
découlent peuvent s'avérer vraies cependant, comme le souligne
Bachelard, il faut distinguer : avoir raison en fait et avoir
raison en droit. Pour aller vers des vérités, il faut se baser sur
des choses solides comme la science et ne pas suivre l'opinion.
Cependant, la connaissance du réel garde ses zones d'ombre et comme
nous l'avons montré, nous pouvons tendre vers la vérité
universelle mais sans jamais l'atteindre. L'impossibilité
d'atteindre la vérité concernant le monde s'explique en partie par
la manière dont nous le percevons. Les interprétations et les
représentations du monde que nous nous faisons ne sont donc pas
réelles mais peuvent prétendre tendre vers la vérité.
Conclusion :
En conclusion, nous avons tout
d'abord montré que nous ne pouvons pas atteindre la vérité absolue
car étant donné qu'elle est unique et que nous ne pouvons pas
regarder la vérité en face, elle nous est inaccessible. Les
représentations que nous nous faisons de la réalité, les schèmes
que nous élaborons ne seront donc jamais en adéquation totale avec
le monde. Ensuite, nous nous sommes interrogés sur la manière dont
nous percevons notre environnement, ainsi, nous avons vu que la
perception du monde nécessite l'utilisation de nos facultés
intellectuelles et de notre intuition sensible. Ces dernières étant
bornées, elles ne nous permettent pas de décrypter le monde
(association d'atomes) tel qu'il est vraiment. Enfin, nous avons mis
en avant que les interprétations que nous nous faisons des
phénomènes extérieurs, du monde, nous font aboutir à des
théories, croyances qui ne sont pas toujours réelles du fait de nos
capacités limitées. De plus, nous avons montré que nous ne pouvons
pas entièrement faire la lumière sur la réalité mais il restera
toujours des zones d'ombre. Nos modèles actuels nous semblent vrais
mais comment savoir si nous sommes en train de tendre vers la vérité
ou si nous nous en écartons ? De ce fait, les représentations
que nous nous faisons du monde, les schèmes que nous établissons
grâce à notre imagination ayant pour origine nos facultés
intellectuelles et notre intuition sensible et ces derniers étant
limités, les images que nous créons du monde ne sont pas en
adéquation avec la réalité mais peuvent seulement prétendre à
tendre vers la vérité. Nous sommes donc séparés du réel de
manière plus ou moins importante car nous ne pouvons pas être en
adéquation totale avec lui et seules les futures avancées
scientifiques nous éclairerons sur notre éloignement à la réalité.
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